Source : La Tribune.fr - 11/02/2011
Dans l'attente des arbitrages finaux, le chemin emprunté pour réformer la fiscalité du patrimoine est pavé de fuites et de ballons d'essai en tout genre. Au-delà de la suppression du bouclier fiscal et de la volonté de taxer les flux plutôt que le stock de patrimoine, la cohérence du projet peine à émerger.
On ne sait pas encore de quoi accouchera le concours Lépine de la fiscalité qu'a lancé le gouvernement en promettant une réforme de la taxation du patrimoine. D'une souris ? Du grand soir ? La question ne sera tranchée qu'au printemps lors de l'adoption d'un collectif budgétaire. D'ici là, les parlementaires continuent de plancher. Les sénateurs accueillent ce mercredi d'éminents fiscalistes, les députés auditionnant des spécialistes de l'immobilier. François Baroin a donné sa feuille de route : "Faire émerger (...) une imposition sur le patrimoine équitable, simple, non pénalisante pour l'économie et stable." Le ministre du Budget se fait le chantre de la stabilité, une vertu dont la politique fiscale française semble dépourvue. Dans sa dernière livraison de "Cartes sur table", présentant son credo économique, le Medef souligne que "la taxe professionnelle a été modifiée 68 fois depuis 1975, le crédit d'impôt recherche 24 fois depuis 1982 et la taxation des plus-values sur les actions des particuliers 10 fois depuis 1989".
Et le jeu devrait être encore rebattu d'ici à la fin de l'année. Bouclier fiscal, impôt de solidarité sur la fortune (ISF), plus-values mobilières et immobilières, régime de taxation de l'assurance-vie voire impôt sur le revenu... aucun élément ou presque de la fiscalité des particuliers ne semble à l'abri de la fringale de réformes des responsables politiques. À l'origine de la frénésie actuelle, la volonté de l'exécutif d'habiller une erreur politique. En 2007, faute d'avoir le courage de s'attaquer à l'ISF, le nouveau gouvernement Fillon élargit le bouclier fiscal. Depuis - et la crise n'a pas arrangé ses affaires -, la litanie des montants restitués à de grandes fortunes au titre du bouclier empoisonne la vie de la majorité. Il a donc été décidé de faire disparaître ce boulet et d'aménager voire de supprimer l'ISF. Cette opération devant être neutre du point de vue des finances publiques, il faut dans le même temps trouver un peu plus de 3 milliards d'euros. Et c'est là que naît l'idée de lancer une réforme de la fiscalité du patrimoine. Au risque de déboussoler et inquiéter des Français qui peinent à se retrouver dans le "grand bazar" de notre fiscalité actuelle et à venir tant les responsables politiques semblent prendre plaisir à détricoter ce qu'ils viennent à peine de terminer. Comment convaincre les plus riches des Français - dont le patrimoine est composé pour plus des deux tiers d'actions, d'obligations et de droits sociaux - de ne pas prendre le chemin de l'exil fiscal, quand sont évoqués pêle-mêle la suppression du bouclier et un relèvement de la taxation sur les plus-values mobilières au-delà de 31,3 % ? Les Français souhaitant devenir propriétaires ont également des difficultés à comprendre la logique d'une taxation des plus-values de cession sur la résidence principale, mesure qui aurait pour conséquence de figer un peu plus le marché. Nicolas Sarkozy l'a bien compris en annonçant jeudi que cette piste ne serait pas retenue. Mais tous ceux qui ont applaudi en 2005 à la simplification du barème de l'impôt sur le revenu doivent se demander pourquoi aujourd'hui est évoquée la création d'une nouvelle tranche (au-delà de 250.000 euros) de ce même barème.
Les plus anciens sourient quand, pour compenser la suppression du bouclier à 50 % mais sans supprimer l'ISF, surgit l'idée de revenir au plafonnement Rocard (1988). La combinaison impôt sur la fortune et impôt sur le revenu ne dépasserait pas 70 % des revenus et serait en même temps supprimé le "plafonnement du plafonnement". Enfin tous les Français qui ont souscrit une assurance-vie sont sans doute préoccupés d'entendre le chef de l'État déclarer que cette épargne sera affectée par la réforme de la fiscalité du patrimoine... Selon le principe des vases communicants, l'aménagement de l'ISF, a fortiori sa suppression, aurait des conséquences sur le financement des entreprises par l'ISF-PME et une partie de l'assurance-vie pourrait venir se substituer à ces fonds qui viendraient à manquer. Quels que soient les arbitrages du printemps, il y a fort à parier qu'ils ne seront pas définitifs. Hostile à une réforme radicale, François Baroin a déjà prévenu. Après la présidentielle, se jouera un nouvel acte de la réforme fiscale. Stabilité, vous avez dit stabilité ?
Taux élevés, multiples dérogations
La taxation des intérêts perçus, des dividendes, et même des plus-values sur les actions et obligations est emblématique du système français. Sur ces revenus-là, la France affiche des taux d'imposition particulièrement lourds : alors qu'elle est la seule à soumettre ces revenus à des prélèvements sociaux, de 12,3 %, elle offre la possibilité de choisir un prélèvement libératoire global élevé à 31,3 % depuis cette année. Elle est donc apparemment très au-dessus de ses voisins, dont la majorité ont abandonné l'imposition de ces revenus au titre de l'IR, pour des prélèvements libératoires variant de 10 % à 30 % selon les pays, avec une moyenne de 20 % sur la zone euro. Mais il s'agit surtout d'affichage. Car la France est la seule à avoir démultiplié les régimes dérogatoires : entre les livrets de caisse d'épargne, l'épargne logement, l'actionnariat populaire logé dans les PEA et l'épargne salariale, sans oublier l'assurance-vie (voir ci-contre), une faible proportion des revenus financiers du patrimoine est soumise à l'impôt : pas plus de 30 % ! Quant aux plus-values mobilières, si elles viennent de perdre certains de leurs avantages comme la taxation à partir d'un seuil de cession, elles restent exonérées lorsque les titres ont été détenus plus de huit ans. Confidence d'un connaisseur : "Il est plutôt rare que les épargnants qui gèrent au plus près leur portefeuille paient des impôts sur leurs revenus financiers."
La machine à défiscaliser
Si tous les pays vieillissants ont privilégié fiscalement l'épargne retraite, la France a poussé l'avantage jusqu'à en faire un véritable paradis fiscal. Aussi, plutôt qu'un produit d'assurance contre les naufrages de la retraite, l'assurance-vie est-elle devenue, derrière l'immobilier, l'instrument de gestion patrimoniale favori des Français : ils y ont mis 36 % de leurs placements financiers, soit deux fois plus qu'il y a dix ans.
Deuxième dépense fiscale
Au bout de huit ans, les gains sont défiscalisés jusqu'à 9.200 euros par an pour un couple. Et, surtout, chaque bénéficiaire désigné peut recevoir jusqu'à 152.500 euros sans payer de droits de succession. Voilà pourquoi, les Français se sont rués dessus. À commencer par les plus aisés, les 10 % les plus riches détenant 63 % des encours de l'assurance-vie, selon Bercy. Une niche d'envergure donc qui coûte 3,5 milliards d'euros par an au contribuable, ce qui en fait la deuxième dépense fiscale derrière la prime pour l'emploi ! Un régime fiscal français particulièrement avantageux à la sortie du contrat en capital, qu'aucun de nos voisins n'a adopté à cette échelle.
Le jackpot de la loi Tepa
Avec la loi Tepa de 2007, la France a suivi le mouvement général d'abaissement des droits de succession, et est devenue l'une des plus favorables pour la succession entre époux, désormais exonérée. Pour l'héritage en ligne directe, les abattements de 150.000 euros y sont plus faibles qu'ailleurs (Allemagne, Italie, Royaume-Uni et États-Unis), et le barème d'imposition y est moins favorable qu'en Allemagne et surtout en Italie.
Pour les donations, le régime français, avec ses abattements tous les six ans, se révèle avantageux. S'il s'inscrit dans la ligne de ce qui s'est fait en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, en France, il permet aux donateurs d'effacer les plus-values, la valeur au jour de la donation étant retenue pour la calculer.
Un matraquage tous azimuts
L'immobilier qui est, de loin, le premier bien des Français et celui dont la valeur a explosé depuis dix ans, est aussi le plus imposé. Et ce, même s'il l'est plutôt moins en France que dans les pays anglo-saxons. Dans l'Hexagone, plus qu'ailleurs, il est taxé de tous côtés : il supporte à la fois les impôts périodiques liés à sa détention (taxe foncière, taxe d'habitation, taxe sur les ordures ménagères, sans oublier l'ISF, soit un total de 2,2 % du PIB contre 1 % dans les pays de l'OCDE), ceux perçus sur les transactions (0,6 % du PIB contre 0,5 % dans l'OCDE), et l'imposition des plus-values si le bien a été détenu moins de quinze ans. Là où chez nos voisins, les délais de détention pour bénéficier de l'exonération sont beaucoup plus courts. Au total, l'immobilier génère 40 milliards d'euros de recettes, soit 80 % des recettes de l'impôt sur le revenu. À la différence des pays où l'immobilier est aussi très taxé, son imposition manque totalement de cohérence en France : alors que, pour l'ISF, son assiette est évaluée à sa valeur de marché, l'assiette de la taxe foncière est totalement périmée. Enfin, loin des préoccupations d'équité fiscale, la taxation de l'immobilier ignore la capacité contributive des ménages.
latribune.fr - 11/02/2011